mardi 11 mars 2008

La philanthropie en l'an 2033 ou l'idée d'une bourse de la philanthropie


Vous avez remarqué que nous vivons dans un monde capitaliste! L'argent est le nerf de la guerre, de toutes les guerres, ce n'est plus un scoop pour personne. Même la Chine communiste adopte le modèle libéral, c'est dire... Et je pense que la philanthropie adopte aussi le modèle libéral. Il n'y a qu'à écouter Bill gates parler de capitalisme créatif pour s'en convaincre, ou encore d'observer les résultats de Kiva, (une plateforme web de micro-crédit inspirée par le Nobel de la paix Muhammad yanus), qui connait aujourd'hui le beau problème d'avoir trop de financements et pas assez de projets à financer... La logique veut aujourd'hui que les donateurs sont prêts à donner si ca leur rapporte quelque chose. Ils veulent un retour sur investissement. Cette règle vaut autant pour les petits donateurs que pour les grandes fondations qui subventionnent des projets en espérant obtenir un maximum d'impact social.

C'est pourquoi, d'ici quelques années, le troisième secteur se sera doté d'outils qui existent déjà dans le secteur marchand. Le premier de ces outils est presque aussi vieux que le commerce lui même: c'est la Bourse! Les fonds éthiques existent déjà, de même que le capital de risque philanthropique, alors pourquoi pas une Bourse éthique, ou solidaire, ou sociale, ou peu importe le nom que l'on voudra bien lui donner.

J'ai lu cette semaine un éditorial du Financial Times,de Sean Stannard-Stockton, (également bien connu dans le monde du troisième secteur pour son excellent blog tactical philanthropy), qui essayait de brosser un tableau de ce que serait la philanthropie en 2033. Je m'en suis trés librement et largement inspiré pour développer cette vision de la philanthropie du futur...

Car demain (ou aprés-demain) je suis convaincu qu'il existera une "bourse solidaire". Sur cette place financière se transigeront des titres d'ONG et d'organismes caritatifs cherchant des financements pour changer le monde. Chacun y exposera sa vision, ses objectifs et ses méthodes. Les bourses demanderont évidemment une quantité astronomique d'informations et de chiffres qui seront rendus publics pour pouvoir coter les organismes candidats. Ceux-ci feront donc massivement appel à internet pour publier toutes les données les concernant comme le font aujourd'hui toutes les entreprises publiques cotées en bourse. Ceux qui ne font pas encore d'internet un outil de communication privilégié n'auront plus le choix que de s'y mettre...

La notion de retour sur investissement sera traduite dans ces bourses solidaires par une mesure d'impact sociétal que chercheront à maximiser les grandes fondations privées avant d'investir dans des organises communautaires. On peut aussi prédire que des organismes indépendants se plongeront dans l'analyse des données des ONG afin de leur attribuer une cote de crédit, ou de crédibilité, comme le font aujourd'hui les indices Moody's de ce monde. Ce sont eux qui créeront (et mesurerons) les indices d'impact sociétal sur lesquels se baseront les fondations avant de financer des groupes communautaires.

On peut aussi imaginer que les ONG et autres organismes caritatifs communautaires cherchant des financements pour réaliser leur vision tiendront des salons d'expositions. Le bon vieux "trade show" sera revampé à la sauce philanthropique. Les villes accueillant les sièges sociaux des plus grandes fondations du monde auront la vocation naturelle de devenir les villes d'accueil de ces salons internationaux. Les ONG locales et nationales viendraient régulièrement y exposer leurs projets, leur méthodologie, leurs besoins, et les résultats escomptés. Elles utiliseraient aussi bien sur les réseaux sociaux pour demander au grand public de choisir parmi leurs différents projets, lesquels seraient les plus prioritaires et les mieux reçus par les premiers concernés. et appui populaire serait un gage supplémentaire de confiance pour inciter les fondations à investir.
L'idée n'est ni folle ni avant-gardiste: la Fondation Clinton à créé la Clinton Global Initiative (CGI) qui est une conférence annuelle (qui se tient à New-York, siège de sa fondation pendant 3 jours en septembre) et qui réunit un millier de participants parmi les plus riches du monde. Le forum de Septembre dernier a réunit 52 chefs d'états actuels ou passés qui ont chacun versés 15,000$ pour être là et débattre des grands problèmes atuels de l'humanité avec différents intervenants de grandes fondations... Par ailleurs, un évènement moins populaire, mais peut-être plus grand public est la social capital market conference de San Fransisco qui se réunit en Octobre prochain et qui rassemblera des entrepreneurs sociaux et des investisseurs... on est pas loin de la Bourse là...

On peut donc imaginer que c'est dans ces grandes villes de salons philanthropiques que seraient également créées les premières bourses solidaires. Et comme nous assistons aujourd'hui à un vaste mouvement de fusion des bourses, il n'y a aucune raison de croire que les bourses solidaires ne finiraient pas par fusionner elles aussi... Ces fusions impliqueraient une plus grande concentration des capitaux investis. Certaines fondations fusionneraient également à leur tour, il s'en créé de toutes façons beaucoup trop actuellement, (trop souvent pour des raisons d'avantages fiscaux), et tous ces fonds dispersés travaillent en silo, ce qui est regrettable du point de vue de l'efficacité. Les bourses solidaires auraient donc tendance à corriger cette situation. La situation deviendrait complexe au point que des magazines spécialisés verraient le jour pour évoquer le marché philanthropique et ses tendances. sur ces bourses seraient aussi transigés des parts de fonds philanthropiques. Aprés le venture capital, nous aurons le philanthropic capital. Aprés le capital de risque, nous aurons le capital philanthropique.

Ca non plus ce n'est pas de la science fiction, regardez le LGT group, de la famille princière du Liechtenchtein, qui a créé le LGT venture philanthropy, de 40 millions de dollars (sur les 100 milliards de francs suisse qu'ils gèrent!), un fonds qui investit en Afrique et en Amérique du sud, et qui a vu sa valeur quadrupler depuis sa création...


Pour poursuivre cet exercice de "science-phi(lanthropi)ction" qui n'en n'est pas vraiment, on pourrait imaginer que d'ici 2033, chaque petit investisseur aurait un compte épargne avec des fonds solidaires (ou éthiques comme il en existe déjà) et un conseiller philanthropique qui leur explique les arcanes et les derniers mouvements des bourses solidaires. Les petits investisseurs auraient aussi des comptes dans des banques solidaires dont les fonds aideraient certaines causes. Peut-être même s'agira-t-il de banques Google, qui sait? Ce serait un monde incroyable non? Mais tellement proche de ce que nous connaissons actuellement finalement...

Nous ne serions donc pas à l'abri d'un scandale financier: l'ONG célèbre pour avoir vacciné l'Afrique subsaharienne contre la SIDA pourrait faire faillite par exemple, jetant ainsi le discrédit sur l'ensemble de la profession, et jetant surtout un grand froid sur le marché naissant de la philanthropie... jusqu'à ce que l'on se tourne, encore une fois, vers de nouveaux modèles économiques qui auront déjà fait leurs preuves dans d'autres secteurs...

Bref, en tant qu'observateur de la philanthropie 2.0, il me semble que les prochaines années seront excitantes et pleines de rebondissements... et je suis persuadé que la plupart de ces innovations n'attendront pas 25 ans avant de voir le jour... comme la bourse philanthropique par exemple?

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